La perversion narcissique comme stratégie de défense face à une souffrance ou une illusion
Paul-Claude Racamier a été le premier à nommer et à décrire ce mode de fonctionnement psychique qu’est la « perversion narcissique », en 1987. Il a donné à Lausanne, une conférence intitulée « Décervelage et perversion dans les institutions », en 1995. « Les perversions narcissiques », l’ouvrage qui fait l’objet du ce résumé, correspond aux chapitres 9 et 10 de « Le génie des origines », paru en 1992. Selon Racamier, la perversion narcissique est une stratégie de défense utilisée par une personne (homme ou femme), face à une douleur ou une désillusion. L’auteur a dû faire face à un « noyau pervers », qui s’était constitué dans l’institution où il travaillait. Au sujet des pervers narcissiques, il avait l’habitude de dire : « Tuez-les, ils s’en fichent, humiliez-les, ils en meurent ».
Séduction narcissique, survalorisation narcissique et faible censure interne
En tant que psychanalyste, l’auteur a tenté de déceler la cause profonde de cette structure de la personnalité, qui proviendrait d’un refus du « deuil originaire » (le moi doit renoncer à la possession totale de l’objet, représenté par la mère au début de la vie) et d’un reliquat d’une séduction narcissique (relation narcissique de séduction bilatérale entre la mère et l’enfant dans les premiers mois de la vie), qui n’a jamais totalement disparu. La survalorisation narcissique, chez ces individus, est héritière de la séduction narcissique primaire associée à l’illusion de remplacer le père auprès de la mère. Il y a chez ces individus un « évitement de l’Œdipe » et un « démantèlement du surmoi » (le surmoi étant l’instance morale héritière de l’autorité parentale, notamment de celle du père). Ce démantèlement du surmoi fait que la censure interne devient faible, voire inexistante.
Déni du conflit interne, expulsé chez l’autre, qui devient un objet jetable
Ce mode de fonctionnement est un moyen de défense qui œuvre au service du deuil ou du conflit interne, qui sont déniés et expulsés chez l’autre. Il peut être instauré définitivement chez le pervers accompli, mais il peut être aussi partiel ou passager. Les conduites du pervers narcissique ont des fonctions contre-dépressives et anti-conflictuelles. La perversion narcissique est le moyen utilisé par l’individu pour s’immuniser contre ses douleurs et tensions internes, susceptibles de menacer son narcissisme, et contre l’attraction de l’objet (l’autre) qui suscite l’envie et le renvoie à ses failles, son incomplétude. Les pervers narcissiques traitent les personnes comme des ustensiles, qu’ils emploient, exploitent, puis disqualifient quand ils n’en ont plus besoin. Ces personnes sont pragmatiques et ont recours à la ruse, à des manœuvres et conduites organisées et calculées, profitant des occasions, des ressorts sociaux et des situations pour parvenir à leurs fins.
Agressivité et paranoïa chez la femme, narcissisme glorieux chez l’homme
On trouve de nombreux escrocs, imposteurs, mythomanes, séducteurs et mystificateurs parmi les pervers narcissiques. Selon Racamier, c’est chez la femme que la perversion narcissique est la plus vénéneuse ; elle est agressive et proche de la paranoïa ; il qualifie ces femmes de « phalloïdes » ; elles sont castratrices et haineuse et n’hésite pas à « prendre en otage » leurs enfants en cas de conflit avec le conjoint. Chez l’homme, c’est un narcissisme glorieux caractérisé par la suffisance et le panache, que l’auteur qualifie de « version avantageuse ». La perversion narcissique se traduit en actions et en conduites ; l’individu n’est pas dans le fantasme et la pensée mais dans l’action. Les agissements se font dans l’ombre, il peut s’agir de manœuvres d’intimidation, de manipulations, d’emprise ; les pervers narcissiques font usage des goûts, tendances et faiblesses des autres pour atteindre leurs objectifs.
Masques, faux-semblants et apparences utilisés pour arriver à leurs fins
Ce sont les spécialistes des masques, des faux-semblants et de l’apparence ; la vérité n’intéresse pas les pervers narcissiques, ce qui leur importe c’est la crédibilité, qui tient lieu de véracité ainsi que le résultat qu’ils cherchent à obtenir. Ils n’ont pas d’empathie, ou alors elle est feinte, et n’ont que faire des affects de l’autre ; si cet autre leur dit quelque chose qui leur déplaît, les pervers narcissiques retourneront ses paroles contre lui en recourant à la projection (qui est un mécanisme de défense psychique). Les tactiques régulièrement utilisées par les pervers narcissiques sont, entre autres : les insinuations, les mensonges, les contrevérités, les « non-dits », les « on-dit », la dissémination d’informations falsifiées, la désinformation, les calomnies, le verbiage.
« La pensée perverse est créativement nulle et socialement dangereuse », affirme Paul-Claude Racamier.
Des communicants très habiles et une grande force de persuasion
L’auteur aborde également la paranoïa, qu’il considère comme un fleuron de la perversion narcissique. Les paranoïaques sont orgueilleux, rigides et méfiants, très attachés au registre légal, c’est la logique qui régne chez le paranoïaque. On peut observer chez les pervers narcissiques et les paranoïaques un repli des investissements sur la parole, ils sont très habiles dans leur façon de communiquer et de convaincre les autres. La réussite sociale peut griser le pervers narcissique, à tel point que son moi se met à flamber et il ne connaît alors plus de limites. Une sorte de « mégalomanie maligne » peut s’emparer de lui, lui donnant une illusion d’invulnérabilité et de toute-puissance. Mais il arrive un moment où c’est la chute, qui peut prendre la forme d’une déperdition économique ou d’une dépression qui le met face à l’abîme.
L’angoisse de castration derrière des apparences tout à fait normales
Derrière le comportement des pervers narcissiques se cache l’angoisse de castration : chez l’homme, elle est déniée par l’exhibition de son « phallus » (en faisant le paon, en paradant) et chez la femme, elle est cachée, mais elle pratique la castration ailleurs.
Les pervers narcissiques sont souvent très bien intégrés dans la société et présentent des apparences sociales et psychologiques tout à fait normales.
Des comportements motivés par le pouvoir, les gains narcissiques et matériels
Il y a noyau pervers quand s’effectue une coalition entre au moins deux personnes, en vue d’obtenir des gains narcissiques et matériels. Le but de ces coalitions est le pouvoir, le plaisir de la prédation, de dominer, l’envie, le besoin de se mettre en valeur. Ces coalitions se font dans le secret, elles ont besoin d’adeptes à recruter et d’exclus à dénigrer. Elles se répandent comme un virus et visent souvent à discréditer le leader en endoctrinant les uns et en les attirant avec des moyens matériels ; elles discréditent et humilient les autres avec des vexations et privations. Ses adeptes pratiquent l’abus de pouvoir, le double-jeu, la duperie et neutralisent les moyens d’intelligence (pensée, imagination, observation, compréhension) L’auteur s’étonne de voir les noyauteurs faire preuve d’une telle « habileté manœuvrière » et en même temps d’une telle « médiocrité idéologique et intellectuelle ». Il précise que « les individus capables de progrès et de création ne créent pas de noyau pervers » et que le noyau pervers est « la ressource de l’indigence mentale ». Ces personnes présentent des fantasmes de grandeur mais leur façon d’agir révèle leur médiocrité.
Dévoiler la vérité pour mettre en lumière et faire cesser les agissements
La solution, selon l’auteur, c’est de retrouver la vérité et de la dévoiler. Le lever de rideau et la mise en lumière de ces comportements faisant déjouer les plans des noyauteurs, ils cesseront leurs agissements.
Paul Claude Racamier précise à la fin de cet ouvrage que tout individu possède une composante de sa personnalité qui est dominante, qui constitue le « noyau » de base de sa personnalité, par exemple, elle peut être hystérique, narcissique, psychotique, obsessionnelle, névrotique, maniaque etc. Cette composante est recouverte par des strates de défense qui la dissimulent, car le moi s’en défend. Si ce mécanisme défensif vient à se briser, il y a menace de désorganisation psychique et de dépression.
Selon Racamier : « Avec le noyau, la vie est difficile, mais sans le noyau, elle serait perdue ».
À propos de l’auteur :
Paul-Claude Racamier (1924-1996), psychiatre et psychanalyste français, a enseigné à l’université de Lausanne ainsi qu’à l’université de Besançon (facultés de médecine et sciences humaines). Il est l’auteur d’ouvrages sur la schizophrénie et des livres suivants : « Le génie des origines », « L’inceste et l’incestuel », « Le deuil originaire ». Son exploration de la psyché humaine et ses relations avec autrui l’ont amené à forger un certain nombre de concepts, parmi lesquels : le noyau pervers, la perversion narcissique, le verrouillage défensif, l’angoisse transmise, l’antœdipe, la concrétude. Ces concepts sont expliqués dans son ouvrage « Cortège Conceptuel », paru en 1993.