Le petit livre des couleurs, par Michel Pastoureau et Dominique Simonnet

À travers ce petit ouvrage, les auteurs nous livrent des clés permettant de comprendre la signification et la portée que peuvent avoir les couleurs dans nos sociétés et notre vie quotidienne. Ils affirment que les différentes teintes qui nous entourent ont une histoire et leur utilisation n’est pas anodine. Ces couleurs ont donné lieu à des expressions familières couramment employées, par exemple, être « rouge de colère », « vert de peur », « blanc comme un linge », « rire jaune ». Un petit aperçu des principales couleurs permet de se faire une idée de ce qu’elles ont représenté à travers l’histoire.

le bleu : cette couleur était méprisée pendant l’Antiquité (sauf en Égypte), période au cours de laquelle la triade blanc-rouge-noir était prédominante. Dans la Rome antique, avoir les yeux bleus était considéré comme une disgrâce. La couleur bleue a été réhabilitée aux XIIème et XIIIème siècles, elle est devenue le symbole du ciel et de la Vierge Marie, souvent représentée avec un vêtement bleu (robe ou manteau) ; le bleu est devenu couleur divine. Les rois de France et les seigneurs ont commencé à s’habiller de bleu. Le bleu, couleur sage et conformiste, a été intégré par les protestants, lors de la Réforme, dans la palette des couleurs jugées « dignes », au côté du gris, du noir et du brun. Au XVIIIème siècle, le bleu est devenu la couleur préférée des européens. Le jean, crée par Levi Strauss en 1850, aux États-Unis, a contribué également à populariser le bleu. Le bleu est la couleur du drapeau de l’Union européenne et de celui de l’ONU.

le rouge : il symbolise le feu et le sang, l’amour (passionnel), l’enfer, l’orgueil, l’ambition, les péchés. Couleur dominante pendant l’Antiquité, elle pouvait avoir une connotation positive ou négative. Le rouge était la couleur du pouvoir, portée par les papes, les empereurs et les chefs de guerre. C’est le rouge qui, dans la Bible, symbolise la Grande prostituée de Babylone, dans l’Apocalypse de Jean. Au cours des siècles précédents, notamment au Moyen-Âge, le rouge était la couleur de la robe de mariée ; la couleur rouge était bien maîtrisée par les teinturiers et par conséquent, coûtait moins cher. Pour les réformateurs protestants, le rouge était jugé immoral et Luther (l’un des chefs de file de la Réforme) assimilait Babylone à la Rome papale. Le rouge est associé aux robes des juges et elle était celle des capuchons des bourreaux ; le drapeau rouge, utilisé lors de la Révolution française, évoque le sang des martyrs, c’est le rouge révolutionnaire et prolétarien, couleur adoptée en 1918 par la Russie et en 1949 par la Chine communiste pour leurs drapeaux. De nos jours, il évoque les fêtes de Noël, le luxe ; il également utilisé pour les panneaux d’interdiction, les avertissements : les feux rouges, le téléphone rouge, l’alerte rouge, le carton rouge.

le blanc : considérée comme la plus ancienne et la plus fidèle, symbole de pureté et d’innocence, de propreté (linges de toilette, draps) et de paix.  Avec la création du papier, le blanc devient le support des toutes les couleurs. Le blanc était symbole de virginité, qui, avec le mariage chrétien au XIIIème siècle, revêt une importance capitale, notamment au sujet des fils, pour des questions de généalogie et d’héritage. Elle est souvent associée au froid, à l’absence, au manque : avoir un blanc (=ne plus se souvenir de quelque chose), faire une nuit blanche (=ne pas dormir de la nuit), faire un chèque en blanc (=chèque sans provision). Le drapeau blanc, arboré pendant la guerre de 100 ans au XIVème et XVème siècle par les belligérants, était une demande d’arrêt des hostilités. Pour les chrétiens, le blanc est synonyme de couleur divine, devenue la seconde couleur associée à la vierge et liée à l’Immaculée Conception décrétée en 1854 ; le blanc évoque les anges mais aussi les fantômes et revenants qui viennent réclamer justice. Les souverains français ont également été associés à la couleur blanche, notamment Henri IV, caractérisé par son panache et son cheval blanc et Louis XVI.  La peau blanche était prisée par les aristocrates des XVIIème et XVIIIème siècles, car la blancheur de leur peau les distinguait des paysans au teint hâlé, qui travaillaient dehors.  L’application de crème blanche sur le visage pour accentuer cette distinction était fréquente à cette époque. Au XIXème siècle, cette tendance s’est inversée et les bains de mer sont devenus à la mode chez les personnes de classes sociales élevée qui cherchaient à prendre des couleurs afin de se démarquer des personnes issues de la classe ouvrière, qui travaillaient en intérieur et avaient le teint pâle.

le vert : considéré comme une couleur moyenne, instable, qui bouge et varie ; le vert est lié au hasard, au destin, à la chance, aux jeux d’argent ; elle est la couleur du dollar. Couleur de l’espérance, elle est associée à l’immaturité (les fruits verts), aux dragons, aux démons et serpents. Pour les comédiens, elle porte malheur et ils refusent de la porter sur scène. L’émeraude serait la pierre précieuse la moins plébiscitée : elle se vend moins bien que les autres. À partir du XIXème siècle, elle symbolise la permissivité, par opposition au rouge, synonyme d’interdiction. Elle est devenue le symbole de la nature, de la durabilité, de la liberté, de la santé (la croix verte des pharmacies). L’Islam primitif et Mahomet ont associé le vert et les endroits verdoyants au paradis. Longtemps exclu des couleurs les plus utilisées dans la peinture (privilégiant le jaune, le bleu et le rouge), le vert est devenu le symbole la nature a été source d’inspiration pour les artistes de la période romantique de la seconde moitié du XIXème siècle.

le jaune : depuis le Moyen Âge, cette couleur est associée à l’infamie, à la tromperie, au mensonge, à la trahison, au mari trompé. Le jaune a été supplanté par la couleur or, qui brille et réchauffe, contrairement au jaune, plus mat et blafard, évocateur de l’automne, de la maladie, de déclin. Le soufre, de couleur jaune, passait pour diabolique à l’époque moyenâgeuse ; il était associé à la folie et aux troubles mentaux. Judas a souvent été peint avec une robe jaune et les membres de la communauté juive, souvent montrée du doigt et persécutée au cours de l’histoire, devaient porter une étoile jaune dans les années 1930, avant l’avènement d’Adolf Hitler au pouvoir. Le jaune a été valorisé par des peintres comme Van Gogh (les champs de blé et de tournesol) et le mouvement fauviste du début du XXème siècle. À la fin du XIXème siècle, le changement de statut du jaune a coïncidé avec les mutations sociales, idéologiques et religieuses du moment et à l’émergence de tendances et modes nouvelles ; le jaune et les couleurs orangées sont devenues particulièrement en vogue dans les années 1970.

le noir : il est associé au deuil, aux ténèbres, à la mort. C’est la couleur de la tempérance, de l’humilité, porté par les moines, mais aussi celle de l’autorité ; elle est portée par les juges et les chefs d’État ; synonyme de chic et d’élégance, le noir peut être brillant ou mat. Jusqu’à la fin du Moyen-Âge, il se faisait rare dans les peintures, puis, la Réforme protestante ayant déclaré la guerre aux couleurs vives, il s’est répandu dans les arts picturaux, véhiculé par le protestantisme et les milieux détenant l’autorité. Au XVIème siècle, seuls les aristocrates pouvaient se permettre l’acquisition d’un vêtement de couleur noire, qui était très coûteux. Dès le XIXème siècle, la photographie a représenté le monde en noir et blanc ; le développement du cinéma et de la télévision a fait de même à ses débuts ; l’imprimerie avait déjà contribué à cette association entre le noir et le blanc. Le drapeau brandi par les anarchistes au XIXème siècle était également de couleur noire.

Derrière les six couleurs de base (blanc, jaune, rouge, vert, bleu, noir), se déclinent des demi-couleurs (rose, marron, orange, violet, gris), qui doivent souvent leurs noms à des fruits ou à des fleurs, issus de la nature.

les orangés : introduits en France après l’importation des premiers orangers, cette couleur transmet chaleur, joie, tonus, santé, ces tons évoquent l’or et le soleil.

le rose : il symbolise la couleur de la chair ; à partir du XVIIIème siècle, il incarne la tendresse, la douceur, la féminité et dans son versant négatif, la mièvrerie.

le marron : très présent dans la nature, il évoque aussi la saleté, la pauvreté ; il a été également associé à la violence, notamment à travers certains uniformes des soldats de la seconde guerre mondiale.

le gris : couleur de l’ennui, de la tristesse, de la vieillesse, mais aussi de sagesse et de connaissances, d’intelligence (la matière grise). Au Moyen-âge, le gris a été aussi symbole d’espérance, par opposition au noir. Pour l’écrivain allemand Goethe, elle était la couleur qui réunissait toutes les autres.

le violet : il est lié au demi-deuil, évoque la vieillesse féminine, les reflets mauves des cheveux des dames âgées. Il est associé à la couleur liturgique de l’Avent et du Carême ; il est devenu la couleur des évêques.

La première liste de nuances a été établie au XVIIIème siècle dans l’encyclopédie de Diderot d’Alembert. De nos jours, ces couleurs se déclinent dans un nombre infini de nuances auxquelles sont attribués des noms en relation avec la nature, c’est le cas pour les couleurs de peintures : saumon, abricot, ambre, ombre marine, vent de sable…. En ce qui concerne les couleurs de rouges à lèvres, ce sont souvent les fruits qui sont mis à l’honneur : framboise, cerise, groseille…

Notre monde occidental européen, plus coloré que celui du Moyen-Âge, l’est toutefois moins que l’Asie ou l’Afrique. Les couleurs ne sont pas vécues de la même façon en fonction des cultures et des classes sociales. Elles demeurent néanmoins ancrées dans l’inconscient collectif et l’émergence de ces différentes nuances n’ont pas affecté notre système de symboles. Il est important de connaître leur signification car elles conditionnent de nombreux comportements et façons de penser.

Michel Pastoureau, né en 1947 à Paris, est un historien et chercheur français, spécialiste de l’histoire des systèmes symboliques et notamment de l’héraldique, de la sigillographie (étude scientifique des sceaux) et du symbolisme des couleurs. Après avoir obtenu le diplôme d’archiviste paléographe à l’École nationale des chartes, en 1972 (une école d’enseignement supérieure qui forme aux métiers de la conservation du patrimoine), il a été nommé conservateur des bibliothèques à la Bibliothèque nationale de France (Paris). De 1982 à 2016, il a exercé en tant que directeur d’études à l’École Pratique des Hautes Études (Paris), spécialisée dans l’enseignement des sciences de la vie et de la terre, des sciences historiques et religieuses. Il est l’auteur d’ouvrages sur le symbolisme et le Moyen-Âge, parmi lesquels « Les couleurs de nos souvenirs » et « Bestiaires au Moyen-Âge ».

Dominique Simonnet, né en 1953 à Lille, est journaliste, écrivain, éditeur et parolier, animateur de radio et de télévision. Il est l’auteur d’une vingtaine de romans et essais dans le domaine des arts, des sciences, de la société, de la politique américaine, de l’écologie et du féminisme. Il a fait ses débuts à l’ORTF (Office de radio et de télévision française), puis a travaillé pour le magazine « l’Express » où il est devenu rédacteur en chef. Il a collaboré également avec d’autres magazines, dont « Le Nouvel Observateur ». Depuis 2007, il se consacre à ses activités d’auteur, d’éditeur et de chroniqueur.  Il œuvre au rapprochement des mondes littéraire, artistique et scientifique. Il est l’auteur d’ouvrages traitant de ses sujets de prédilection, parmi lesquels « L’écologisme » (collection Que sais-je), « La défaite des femmes » ; certains de ses écrits ont été produits en collaboration avec son épouse, Nicole Bacharan, historienne, politologue et spécialiste des relations franco-américaines : « Les secrets de la Maison Blanche », « Le livre de Némo », entre autres.