Le symbolisme dans la mythologie grecque, Paul Diel

Préface de Gaston Bachelard

Paul Diel nous propose une lecture symbolique de certains récits de la mythologie grecque. Il affirme que les mythes peuvent nous donner accès à l’ensemble du psychisme et que les combats mythiques correspondent aux conflits qui se jouent dans la psyché humaine. Il fait référence à Freud, qui a découvert la fonction symbolisante du psychisme, ainsi qu’à Jung, qui est à l’origine de la notion d’archétype ; les archétypes sont des images-guides, des modèles de comportement qui déterminent l’activité humaine. L’auteur établit également des parallèles entre les mythes grecs et les récits judéo-chrétiens de la bible. Platon affirmait déjà dans « Le Gorgias » que les mythes véhiculaient des vérités essentielles devant faire l’objet de recherches.

« Tout mythe est un drame condensé », écrit l’auteur.

La création mythique a débuté lors de la sédentarisation de l’Homme. La survie de ce dernier étant tributaire des phénomènes cosmiques et météorologiques, il entretenait avec les éléments et phénomènes naturels (alternance jour/nuit, le soleil, la lune, les océans, le vent,…) des relations teintées à la fois d’effroi et de vénération. Ces forces pouvaient être bienfaisantes ou hostiles et puisque l’homme ne pouvait les maîtriser, il les a divinisées et leur a attribué des noms. Ces divinités étaient censées connaître tous leurs désirs et motifs secrets et agir comme des juges symboliques distribuant récompenses et châtiments. Ces croyances ont donné lieu à de nombreuses créations artistiques.

Deux thèmes sont récurrents dans les mythes :

  • La création ( la cause 1ère de la vie), thème lié à la métaphysique.
  • La conduite sensée de la vie, thème lié à l’éthique.

Dans le mythe s’opposent souvent deux notions : la spiritualisation et le pervertissement.

Tout homme possède sur le plan psychique deux pères : la sublimité et le pervertissement. C’est « Dieu le Père », dans le mythe chrétien et Adam représente l’humanité toute entière, qui a fauté, la faiblesse de la nature humaine qui préfère manger le fruit défendu plutôt que de répondre à l’appel de l’Esprit.

Paul Diel distingue trois formes de pervertissement imaginatif et associe un animal à chacun dans le mythe :

-la vanité, ou perversion spirituelle (le serpent)

-la perversion sexuelle (le bouc)

-la perversion sociale à tendance dominatrice (le lion)

Les mythes mettent en relief la perversion de l’esprit. La vanité s’oppose à la lucidité. C’est ce que Paul Diel nomme « la recherche de l’œuvre extérieure », c’est-à-dire par exemple, avoir la folie des grandeurs, vouloir toujours plus (d’argent, de reconnaissance, de pouvoir…), par opposition au développement intérieur, à la formation de soi-même ; c’est l’intellect utilitaire (lié aux satisfactions des besoins corporels) qui s’oppose à l’esprit (lié à la recherche du sens de la vie). L’exaltation vaniteuse incarne le principe psychologique du mal et devient sur le plan symbolique le prince du mal, le démon, incarné par le serpent, celui-là même qui promet à Adam et Eve (symboles de l’Humanité) de les rendre égaux à Dieu. La production vaniteuse transforme la vérité en erreur.

La vérité est pervertie, ce qui entraîne de faux jugements, d’où résultent des actions absurdes. L’erreur, selon Paul Diel, sépare, isole les individus ou les fédère temporairement dans un enthousiasme destructif, le fanatisme. L’auteur nomme « coulpe » le sentiment de culpabilité, qui est un problème central se reflétant dans le conscient. Deux sentiments sont possibles vis-à-vis de la culpabilité : l’aveu ou le désaveu. L’aveu de la faute a pour conséquence sa compréhension (spiritualisation) et sa purification (sublimation), mais son désaveu (le refoulement) détruit la lucidité et tourmente l’être. La coulpe est personnifiée dans les mythes par les monstres que l’homme doit affronter.

« Toute aberration de la direction évolutive déclenche la culpabilité et son risque de refoulement et ses conséquences monstrueuses », écrit l’auteur.

Les termes « banalisation » et « banalité » font référence à l’attachement excessif à la matière, au matériel, aux désirs terrestres. Le héros banal est celui qui ne peut accéder à la spiritualisation-sublimation et reste attaché à la matière. L’individu n’est donc pas enclin à l’effort évolutif car il est dans l’immédiateté de la satisfaction de ses désirs ; il recherche les possessions matérielles et la position sociale élevée, son intellect sert essentiellement à former des projets utilitaires.

Le héros est la « personnification de l’élan spiritualisant ». Dans de nombreux mythes, il s’agit d’un combat contre l’exaltation affective des désirs, avec l’aide (ou non) des forces de spiritualisation et de sublimation prêtées par les divinités.  Selon Paul Diel, le personnage mythique a un surconscient, un moi et un subconscient. Ce combat incarne la lutte contre le mal intime qui constitue une entrave au processus d’évolution de l’homme. Le héros qui sort vainqueur de ses épreuves est élevé au rang de divinité.

Selon Paul Diel, « le personnage mythique a son axe de sublimation et une verticale de chute dans l’inconscient le plus profond ».

Dans l’évangile chrétienne, la chute précède l’élévation parfaite et sublime de Jésus Christ.

Il ajoute que les trois manifestations de l’élévation sublime sont : la vérité, la beauté, la bonté.

Le combat mythique incarne la rencontre de l’homme et de la nature sur un plan symbolique ; les mortels devaient par leurs actions prouver aux divinités qu’ils étaient dignes de leur aide.

Les notions de vanité et de culpabilité sont inhérentes au mythe ; lorsqu’elles sont exaltées elles entraînent une stagnation de l’élan évolutif du héros (que Paul Diel nomme aussi « stagnation involutive »). Le désir essentiel et évolutif requiert l’effort spirituel, l’effort éthique, spirituel et sublime, qui sort l’homme de l’animalité.

Quelques éléments récurrents dans les mythes et la lecture symbolique qu’en fait l’auteur :

Au sujet de la théogonie (récit qui explique la naissance des dieux) : au début était le chaos d’où sont apparus l’esprit-père et la matière-mère, le ciel (Ouranos) et la terre (Gaïa). La matière s’oppose à l’esprit et cette opposition entre le principe matériel et le principe spirituel incarne le déroulement évolutif. L’union d’Ouranos et de Gaïa a engendré les manifestations élémentaires caractérisant les origines du monde.

-Zeus= le Père, le soleil, l’esprit ; il lance l’éclair, symbole de l’esprit et de la vérité.

-la Terre-Mère s’oppose à l’Esprit-Père. La terre est la mère mythique, la matière, le monde manifeste. Elle produit la vie.

-l’eau= la purification (c’est également le cas dans la bible avec le déluge)

-la mer= la naissance ; le héros qui navigue sur la mer = l’exposition aux aléas de la vie

-la région sous-marine= le subconscient

-la région souterraine (Hadès, dieux des enfers) = le refoulement

-la glace, l’eau gelée= l’âme morte, la stagnation psychique

-les monstres = l’imagination exaltée et erronée, les intentions impures à combattre, l’état malsain du psychisme.

-les titans=les forces brutes de la terre, ils symbolisent les désirs terrestres en révolte contre l’Esprit (le titan Atlas est écrasé par le poids de la terre). Les titans sont exclusivement attachés à la Terre-Mère.

-le taureau et le lion= la perversion de la pulsion sociale et la tendance dominatrice

-le bouc, le porc=la sexualité pervertie

-le cheval= l’impétuosité des désirs

-le serpent=la vanité

-le dragon=le danger intrinsèque de l’âme, le symbole de la banalisation

-le bouclier d’Athéna : le miroir de la vérité, la sagesse et l’amour combatif de la vérité

-le glaive tranchant= la force lucide de l’esprit

-le pied=symbole de l’âme. Les héros boiteux ou aux pieds blessés ont l’âme blessée (ex : Achille, Oedipe)

Icare :

Fils de Dédale, inventeur des ailes de cire, il rêve de voler, ce qui signifie qu’il veut surpasser les autres, atteindre le soleil, il a la folie des grandeurs et symbolise l’imagination perverse ; son excès de vanité le mènera à sa chute.

Tantale :

Il a tué son propre fils, Pélops, pour le servir à la table des dieux (comble du pervertissement). Zeus ressuscitera Pélops, chassera Tantale de l’Olympe et l’enverra dans le Tartare, lieu de tourments. Le mythe du fils tué est commun à tous les peuples, selon l’auteur. Il est présent dans la bible, avec Abraham qui, testé par Dieu s’apprête à sacrifier son fils mais est stoppé par un ange, qui l’en empêche.

Phaéton :

Il est le fils d’Hélios, dieu du soleil. Il veut briller, paraître, s’imposer et souhaite mener par ses seules forces les chevaux ailés qui traînent le char du soleil pour illuminer le monde. Malheureusement, l’attelage s’emballe et il ne peut plus le maîtriser. Pour rétablir l’ordre, Zeus lance un éclair qui foudroie Phaéton., qui retombe sur terre et meurt dans les flammes.

Bellérophon :

Il est envoyé par le roi d’Argos en Lycie pour y combattre la chimère, un monstre qui dévaste le pays. Le monstre symbolise le règne néfaste d’un roi faible ou perverti. Il sera aidé dans sa tâche par le cheval ailé Pégase, qui lui est envoyé par la déesse Athéna (il reçoit donc une aide spirituelle). Il réussit à tuer la chimère et il épouse la fille du roi. Devenu roi à son tour, il perd son sens de la mesure, change de comportement et devient vaniteux. La vanité peut être la conséquence de la victoire et elle peut être d’autant plus démesurée que la victoire est grande.

Jason :

Il combat le dragon et se lie avec Médée la magicienne, par calcul utilitaire, car Médée règne sur les forces terrestres au moyen de la puissance démoniaque. Il réussit à obtenir la toison d’or en endormant le dragon, grâce à un philtre préparée par Médée. Jason sera puni par Dieu car la toison d’or a été acquise par la ruse et pas héroïquement. L’Argo (le navire sur lequel Jason avait embarqué avec les argonautes), symbole des rêves et projets de sa jeunesse, tombe en ruines.

Œdipe :

La dureté de ses parents lors de son enfance, leur incapacité à satisfaire ses besoins psychiques et le sentiment d’abandon ressenti ont conduit à son infirmité psychique. En raison de sa vanité et de son manque de maîtrise de soi, il tue un vieillard dans un char qui lui faisait obstacle, sans savoir que ce vieillard était son propre père, Laïos. Il résout l’énigme du sphinx, accède au trône et épouse Jocaste, ignorant qu’elle est sa mère. Lorsqu’il l’apprend, il se crève les yeux, ce qui, pour Paul Diel, symbolise l’aveuglement vaniteux complet.

Paul Diel considère l’art comme étant « le miroir de la vie qui montre aux êtres capables d’êtres émus les forces et les faiblesses de l’âme ».

L’un des supplices qu’inflige Zeus à certains héros déchus est de les attacher dans le Tartare sur une roue de serpents qui ne cesse de tourner (serpent= vanité, ils se retrouvent donc prisonniers de leur propre vanité).

Le mythe de la santé est incarné par la triade Apollon, Chiron, Asclépios, à partir de laquelle s’est développée l’histoire évolutive de la médecine.

Apollon est la divinité suprême de la santé. Chiron est un centaure, il symbolise la banalité, il a été initié à la médecine par Apollon. Asclépios est le guérisseur des maladies corporelles, il est fils d’Apollon et a été initié à la médecine par Chiron ; Asclépios et Chiron représentent les deux tendances de l’art médical : c’est l’union de la spiritualisation et de la profanation.

Héraclès (Hercule) :

Il sera confronté à douze travaux dont il viendra à bout ; ces travaux symbolisent les pulsions corporelles, la vanité, la débauche, la domination. Il aura des faiblesses passagères (comportements avec les femmes, ivresse, amitié avec le brigand Pirithoos) et tombera sous le charme de femmes banales (cf : banalité, banalisation), telles que Déjanire, que l’auteur qualifie de tueuse d’âme ou de « déniveleuse d’âme ». Il manifestera toutefois du regret et sera clairvoyant à l’égard de ses fautes. Héraclès est le seul héros de la mythologie grecque honoré par les dieux et auquel ils ont accordé l’immortalité.

Paul Diel analyse d’autres personnages mythologiques, parmi lequels Midas, Eros et Psyché, Prométhée, Thésée, les gorgones, Rhéa, Chronos, Héra, Démeter, Hestia, les Érynies, le minotaure et évoque d’autres mythes grecs, pour lesquels il propose une traduction dans le langage de la psychologie moderne.

À propos de l’auteur :

Paul Diel est né en Autriche. Orphelin à l’âge de 13 ans, il obtient son Baccalauréat avec le soutien d’un tuteur puis étudie la psychologie, tout en développant des connaissances dans les domaines de la physique, la biologie, les théories de l’évolution. Il se réfugie en France en 1938 après l’Anschluss (rattachement de l’Autriche à l’Allemagne), où il sera interné dans le camp de Gurs, en tant que citoyen d’un pays en guerre avec la France. Après la Libération, il exercera en tant que psychothérapeute au CNRS (Centre national de recherche scientifique), où il sera chargé de recherche. Henri Wallon, psychologue, médecin et homme politique, estimait que Paul Diel était dans la lignée de Freud et d’Adler. Par ses recherches et ouvrages, il a contribué à l’élucidation du sens caché des symboles dans les mythologies, les textes bibliques et les rêves. Ses travaux ont été remarqués par Albert Einstein, avec lequel il entretenait une correspondance. Il est également l’auteur d’ouvrages sur la psychologie de la motivation et a fondé l’association pour la Psychologie de la motivation, toujours active et qui se trouve à Sceaux, dans les Hauts-de-Seine (France).

« Quand on aura suivi Paul Diel dans les associations de mythes, on comprendra que le mythe couvre toute l’étendue du psychisme mis à jour par la psychologie moderne. »

Gaston Bachelard (1884-1962), philosophe des sciences, de la poésie, de l’éducation et du temps.