La psychanalyse jungienne, par Elysabeth Leblanc

Au début de sa carrière, Carl Gustav Jung (1875-1961), psychiatre et psychanalyste d’origine suisse, s’est intéressé à la démence précoce et s’est aperçu que les délires des malades mentaux étaient souvent associés à des mythes, contes et légendes qui leur étaient inconnus, ce qui lui a permis d’émettre l’hypothèse de l’existence d’un inconscient collectif. Il rencontre Freud en 1907, dont il va devenir un disciple, jusqu’à ce que des opinions divergentes les séparent : Jung n’adhérait pas à la totalité des théories freudiennes, notamment à l’universalité de l’Œdipe et à la nature strictement sexuelle de la libido, ce dont Freud était persuadé. Selon Jung, la libido est une énergie psychique dont la sexualité ne constitue que l’une des voies d’expression.

Cette conception de la libido a valu à Jung de nombreuses critiques et son rejet du monde médical et de la psychanalyse. Jung a appelé sa méthode « psychologie analytique », pour se démarquer de la « psychanalyse » de Freud. Il a fait de nombreux voyages (Inde, Nouveau-Mexique, Afrique du Nord, Palestine, Egypte) dans le but de découvrir différentes formes d’expression de l’inconscient liées à d’autres cultures et sociétés. Il a également effectué des études comparées des religions, mythologies et cultures, qui ont renforcé ses convictions concernant l’existence d’un inconscient collectif, relié à l’inconscient individuel et au conscient. Les théories jungiennes ont donné naissance aux concepts d’animus et d’anima, et Jung a identifié l’existence de l’ombre, présente chez tout individu.

Selon Jung, l’appareil psychique est la psyché, constituée de lieux psychiques, qui sont l’inconscient collectif, l’inconscient individuel et le conscient ; Ces lieux sont reliés par différentsprocessus et notre moi est orienté à la fois vers le monde extérieur et vers le monde intérieur ; il y a une interdépendance constante de ces deux facettes de la psyché. Il considère que certains comportements et certaines motivations et représentations relèvent de l’humanité plutôt que de l’individu. Il existerait un fondement psychique universel, qui renferme l’ensemble du savoir de l’homme. Selon Jung, l’inconscient collectif est présent en chacun de nous, il est peuplé d’archétypes, qui représentent des modèles innés d’action et de comportement ; l’auteur les qualifie de « modèle d’attitudes et de réactions, caractéristiques de comportements typiques de l’espèce humaine ».  Les archétypes sont à l’origine des mythes, légendes et contes de fées de tous les pays, à toutes les époques.

Jung a élaboré le concept d’individuation, qui consiste pour un individu à différencier ce qui est de l’ordre du collectif de ce qui lui appartient en propre, le but de ce processus étant le Soi, qui consiste à transcender le Moi, par un élargissement de la conscience et à devenir un être entier, indivisible, autonome et distinct de la psychologie collective. L’individuation est une dynamique ; elle se modifie à chaque fois que le moi fait l’expérience de l’inconscient et qu’il rencontre des éléments de l’ombre (la part sombre et cachée présente en chacun de nous). Cette rencontre avec l’ombre peut se faire de différentes façons : ce peut être quelque chose qui nous choque, nous attire, nous interpelle, nous touche, nous agace, etc. L’ombre peut également faire référence à des faiblesses, des erreurs, des désirs incompatibles avec la morale, la réalité. Ce peut être un aspect de l’autre que nous trouvons insupportable et qui nous renvoie à nos propres imperfections. L’ombre doit être en tous cas acceptée et intégrée dans sa réalité ; Jung affirme qu’elle est même porteuse de tous les possibles de la réalisation personnelle et que son acceptation contribue à renforcer le Moi. 

Certaines personnes ne supportent pas cette rencontre avec l’ombre car elle remet en cause l’idée qu’elles se font d’elles-mêmes, leurs croyances, leurs systèmes de valeur. De cette rencontre résulte une prise de conscience et le moi, après une réorganisation qui peut au préalable entraîner un conflit intrapsychique, va intégrer un élément refoulé qui lui était jusqu’alors inconnu ; il fait alors un pas de plus vers le Soi. De nombreux mythes et contes relatent le processus d’individuation d’un personnage, qui doit passer par diverses étapes et épreuves (exemple du combat contre le dragon dans les contes) pour parvenir à la réalisation du Soi ; ils doivent se confronter à des obstacles extérieurs mais également intérieurs : les oppositions conscient/inconscient, moi/non moi, individuel/collectif. Le sujet prend conscience de l’idée de Soi quand il ressent en lui une sorte d’axe intérieur qui le guide et justifie ses orientations et ses choix, dans des correspondances d’événements inattendues, sans aucun lien de causalité apparente, des « coïncidences exagérées chargées de sens », que Jung nomme synchronicités, quirésulteraient de la réunion du conscient et de l’inconscient.

L’ombre est en relation directe avec la persona, qui est elle-même un facteur de communication entre le Moi et le monde extérieur. L’anima et l’animus font référence aux aspects fondamentaux de la nature profonde de l’individu. L’anima est la personnification de la féminité inconsciente chez l’homme. L’anima est l’aspect passif et réceptif, concerne la vie relationnelle et affective, la beauté, la sensibilité, les dons artistiques. L’animus est la représentation de la masculinité inconsciente chez la femme ; elle concerne l’intelligence, l’esprit, le rationalisme créatif, la justesse de jugement et de perception.  Il existe des animus et anima de plusieurs niveaux et Elizabeth Leblanc nous en donne des détails dans son ouvrage. L’anima et l’animus se développent dès le plus jeune âge, en fonction des relations entretenues avec les parents et de l’influence de ces derniers sur le développement de notre psychisme.

Le Moi est selon Jung le centre de la conscience, mais il comporte aussi des aspects inconscients ; le Moi résulte des confrontations entre le facteur somatique (les exigences corporelles d’un individu) et l’environnement. Il doit rester stable et en équilibre et il a pour mission de gérer les demandes provenant du monde intérieur et les contraintes du monde extérieur. La persona, autre concept élaboré par Jung, est la partie du moi en contact avec l’environnement, c’est en quelque sorte le masque social, l’attitude que va adopter un sujet lorsqu’il interagit avec son entourage, c’est un système d’adaptation entre l’individu et le social. Jung évoque l’existence de persona souples, rigides ou faibles et affirme qu’il peut y avoir une identification du Moi à la persona, qui se produit quand le sujet se confond avec son apparence et sa fonction sociale.

Il distingue deux directions essentielles de l’énergie psychique (la libido) dans son rapport à l’environnement chez un sujet, qui sont :

-l’extraversion : la référence de l’individu est objective, il est attaché aux normes, il a pour système de valeur son éducation.

-l’intraversion : correspond à une orientation de l’énergie vers le sujet lui-même, l’individu est davantage dans la réflexion interne, la référence est plus subjective.

Il distingue également quatre fonctions d’orientation : sensation, pensée, sentiment, intuition.

La sensation = la perception immédiate, la fonction du réel

La pensée= l’acte intellectuel de raisonnement

Le sentiment= la valeur attribuée à ce qui est (j’aime/je n’aime pas)

L’intuition = la connaissance immédiate de l’inconnu

Ces fonctions s’opposent deux à deux : les fonctions pensée et sentiment sont des fonctions rationnelles. Elles reposent sur un jugement objectif (pensée) ou subjectif (sentiment). La sensation et l’intuition sont souvent irrationnelles car elles résultent d’une perception immédiate. Ces orientations et fonctions ont permis à Jung d’élaborer huit types psychologiques.

La notion de symbole est capitale dans la théorie jungienne ; elle représente une expression directe de la conjonction des opposés et apparaît généralement dans des périodes de remise en question, de conflit psychique, d’attachement à un objet (le terme « objet », en psychanalyse, peut faire référence à une personne, un événement, un souvenir, ou autre ; la première relation objectale d’un individu étant la relation à sa mère ou à son substitut). Le symbole a pour origine une expérience émotionnelle qui va mobiliser la fonction sentiment ; le symbole peut se traduire par un symptôme (trouble fonctionnel, pathologie, etc.), il est le troisième terme qui résulte de la confrontation des opposés ; à travers le symbole se révèlent les instincts du sujet et sa manière de penser. Le décryptage du symbole est personnel ne peut être fait que par la personne concernée. Le symbole peut particulièrement affecter émotionnellement un individu. Toutefois, cette fonction symbolique peut permettre au sujet d’accéder à un niveau de conscience plus élevé, à sa vérité de personne et de sujet et à devenir lui-même. L’individu prend alors conscience de son originalité et peut alors s’engager dans une voie non fréquentée, un chemin hors des sentiers battus et de ce fait, l’élargissement de sa propre conscience peut être utilisé pour le bénéfice de la collectivité dans son ensemble, s’il trouve un moyen de le valoriser.

Elizabeth Leblanc est psychologue, titulaire d’un DESS de psychologie clinique et pathologique, psychanalyste jungienne, enseignante et formatrice. Elle est co-fondatrice de l’École de formation Savoir Psy, avec le docteur Pierre Coret.